Les groupes de défense des droits humains sous pression au Kazakhstan
Les autorités fiscales doivent mettre fin au harcèlement et retirer leurs avis
Les autorités fiscales kazakhes ciblent plus d'une douzaine d'organisations non gouvernementales de défense des droits humains travaillant dans le pays par le biais d'amendes et d'une éventuelle suspension pour des violations présumées des bilans comptables, ont déclaré aujourd'hui Amnesty International, Front Line Defenders, Human Rights Watch et International Partnership for Human Rights.
Au cours du mois passé, les agents des impôts ont informé au moins 13 groupes de défense des droits humains qu'ils avaient mal rempli les formulaires de déclaration relatifs aux revenus étrangers. Les groupes affirment que ces allégations sont infondées.
"Cibler plus d'une douzaine d'éminents groupes de défense des droits humains en les accusant de violations présumées des bilans comptables est plus qu'un abus de pouvoir flagrant de la part des autorités fiscales kazakhes", a déclaré Marie Struthers, directrice d'Amnesty International pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale. "C'est une tentative cynique qui vise à faire taire les voix indépendantes et critiques précisément lorsque ces voix comptent le plus".
Entre la mi-octobre et la fin novembre, au moins 13 groupes à travers le Kazakhstan ont reçu des avis selon lesquelles ils avaient enfreint l'article 460-1 du Code des infractions administratives pour ne pas avoir correctement signalé les fonds étrangers que chacun avait reçus, datant dans certains cas de 2018. L'infraction est passible d'une amende de 555 600 tenges (1300 $US) et de la suspension des activités, ainsi que d'une amende plus lourde et une interdiction d'activités en cas de récidive dans l'année.
"Ces accusations de délit fiscal ont une odeur d'ingérence indue dans les activités légitimes des groupes de défense des droits humains", a déclaré Hugh Williamson, directeur d'Human Rights Watch pour l'Europe et l'Asie centrale. "Le gouvernement kazakh doit mettre fin à ce harcèlement et laisser les organisations de défense des droits humains reprendre leur travail important".
Parmi les organisations attaquées par le gouvernement figurent des groupes de défense des droits humains de premier plan au Kazakhstan tels que l'International Bureau for Human Rights and Rule of Law, International Legal Initiative, Kadyr Kasiyet, et l'Echo Public Foundation. Les groupes travaillent sur les droits humains et d'autres questions, telles que l'observation des élections, des droits environnementaux, la liberté d'expression ou la liberté des médias.
Le 30 novembre, sept des groupes ciblés ont publié une déclaration commune exprimant leurs craintes que les autorités kazakhes intimident, harcèlent et exercent des pressions sur la société civile, et portent gravement atteinte à leur indépendance et à leur capacité de mener librement leur travail, contrairement aux normes internationales relatives aux droits humains.
Les groupes ont constaté que le moment choisi et la nature limitée des plaintes des agents du fisc suggèrent que le véritable objectif des autorités est de "paralyser les activités [des groupes] pendant un certain temps". Ils ont déclaré que cela équivalait à une attaque contre la société civile, qui pourrait avoir été déclenchée par la crainte que les organes gouvernementaux soit placés sous les projecteurs à l'approche des élections législatives du 10 janvier 2021.
"Il est particulièrement préoccupant que ce ciblage accru coïncide avec les prochaines élections législatives de janvier 2021", a déclaré Andrew Anderson, directeur exécutif de Front Line Defenders. "Les actions ciblées contre les défenseur-ses des droits humains auront un effet dissuasif sur la société civile, ce qui fait obstacle au rôle important des organes de surveillance indépendants pour garantir le respect des droits humains dans le contexte des élections, une surveillance indépendante pendant la campagne électorale et le jour du scrutin.
Les groupes ont également exprimé leur inquiétude quant au fait que les autorités fiscales peuvent imposer des sanctions sans respecter les procédures de la loi. Les groupes n'ont que 10 jours après le procès verbal pour faire appel. Lors de la réunion d’information des groupes, le défenseur des droits humains basé à Almaty, Amangeldy Shormanbayev, a décrit les actions des autorités comme un "couteau à la gorge" de la société civile.
Evgeny Zhovtis, directeur du Kazakhstan International Bureau for Human Rights and Rule of Law, a indiqué aux quatre organisations internationales de défense des droits humains que les employés du fisc ont informé son personnel le 26 novembre que les prétendues violations concernaient des subventions reçues en 2018.
En raison des changements dans les taux de change, il y avait un écart entre les enregistrements du montant d'argent reçu par le Bureau et le montant dépensé par l'organisation, ce qui, selon les autorités fiscales, constituait une fausse déclaration, a déclaré Zhovtis. Dans un autre cas, le Bureau a retourné une partie inutilisée d'une subvention, ce que les autorités fiscales ont également considéré comme une violation, a-t-il déclaré.
Roman Reimer, d'Erkindik Qanaty, un mouvement de jeunes pour les droits humains, a déclaré aux organisations internationales que les agents des impôts les avaient accusés de trois infractions. Dans un cas, un bailleur de fonds avait envoyé une subvention deux fois par erreur et le groupe avait retourné le montant en double. "Il n'y a aucune erreur [dans nos bilans comptables]" a t’il déclaré faisant part de sa frustration. "Nous avons scrupuleusement respecté la loi. Nous sommes maintenant au bord de l'anéantissement. L'amende est hors de notre portée".
L'article 460-1 du Code administratif a été introduit en 2016 dans le cadre d'un ensemble d'amendements imposant de lourdes obligations dans les bilans aux organisations non gouvernementales. La loi a été largement et fortement critiquée par des groupes locaux de défense des droits humains, des organisations non gouvernementales internationales et d'autres organismes internationaux, tels que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme. À l'époque, le rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association, Maina Kiai, avait averti que le projet de loi "pourrait non seulement compromettre l'indépendance des associations, mais aussi remettre en cause leur existence même".
Les autorités kazakhes devraient immédiatement abandonner ces plaintes non fondées contre des organisations indépendantes de la société civile et honorer leurs obligations internationales en matière de droits humains de respecter, protéger, promouvoir et appliquer les droits humains, y compris le droit à la liberté d'association, ont déclaré les groupes internationaux.
Les partenaires internationaux du Kazakhstan, notamment l’Union européenne, les États membres de l’UE et d’autres pays, devraient exhorter leurs homologues kazakhs à cesser d’intimider, de harceler et de cibler les groupes de défense des droits humains.
"Il est essentiel que les autorités kazakhes respectent, protègent et facilitent le travail des défenseur-ses et des groupes de droits humains et n'entravent pas leurs efforts par le biais d'accusations infondées", a déclaré Brigitte Dufour du Partenariat international pour les droits humains.