Les défenseur-ses des droits humains face aux balles
L’Observatoire iraquien des droits humains (IOHR), une ONG irakienne, indique qu'une centaine de manifestants ont été tués entre le 25 et le 30 octobre, tandis que plus de 5500 autres ont été blessés. Cela porte le nombre de morts à plus de 250 en octobre.
"Le gouvernement irakien a délibérément recours à la violence systématique contre les manifestants et a mis en place des mécanismes violents qui, selon lui, mettront fin aux manifestations pacifiques et aux sit-in qui ont débuté le 28 du même mois", a déclaré l'Observatoire.
Le 25 octobre 2019, les manifestations ont été reprises à travers l'Irak. Elles ont débuté le 1er octobre dans la capitale Bagdad et dans toutes les villes des régions centrale et méridionale, où des centaines de milliers de manifestants pacifiques se sont rassemblés pour réclamer des réformes.
Les manifestations, menées par des défenseur-ses des droits humains, lancent des slogans appelant à la démission du gouvernement actuel, à la formation d'une nouvelle commission électorale, à la tenue d'élections générales sous surveillance internationale, à l'élimination de la corruption sous toutes ses formes et à la justice sociale.
Des rapports fiables et successifs reçus par l'IOHR, l'Iraqi Network for Social Media (INSM), le Gulf Centre for Human Rights (GCHR), Front Line Defenders et le PEN Center indiquent que la police anti-émeute irakienne a eu recours à une force excessive lors d'un affrontement ouvert avec des manifestants. Des milliers de personnes ont été tuées et blessées.
Le Haut Commissaire irakien aux droits de l'homme a déclaré que "les forces de sécurité ont arrêté 399 personnes, dont 343 ont été relâchées", indiquant que "les forces de sécurité irakiennes ont utilisé la violence contre des manifestants".
Le 29 octobre 2019, six experts des Nations Unies ont appelé le gouvernement irakien à veiller à ce que les responsables d'actes de violence soient traduits en justice. «Il était de la plus haute importance que les autorités irakiennes prennent des mesures supplémentaires pour prévenir la violence et créer un environnement sûr pour des manifestations pacifiques. ” Les experts ont noté que, le 22 octobre 2019, un comité d'enquête du gouvernement irakien sur les violences du début du mois d'octobre avait reconnu "que les forces de sécurité avaient eu recours à une force excessive et perdu le contrôle des manifestations, et a recommandé des enquêtes disciplinaires et judiciaires à l'encontre des auteurs identifiés, mais qu'aucun ordre officiel de tirer sur les manifestants n'avait été donné. "
Toutefois, les experts des Nations Unies précisent que "le gouvernement doit démontrer l'efficacité, l'indépendance et l'impartialité de ces enquêtes. Cela signifie qu'il doit identifier tous les coupables en vue de les poursuivre. Cela vaut également pour les fonctionnaires qui n'empêchent pas de telles violations de se produire."
Pourtant, la violence contre les manifestations a continué après le rapport du comité d’enquête gouvernemental. Dans la nuit du 28 octobre 2019, les forces de la police anti-émeute postées sur le pont Al-Jumhuriya, qui donne sur la place Al-Tahrir dans le centre de Bagdad, ont pris pour cible un militant des droits humains Safaa Al-Saray ; il a été frappé à la tête par une bombe de gaz lacrymogène. Il a été conduit à l'hôpital et, malgré les soins médicaux dont il a bénéficié, il est décédé deux heures plus tard.
Le matin même, il avait posté sur sa page Facebook une vidéo montrant une agression flagrante de la part de certains des membres des forces de sécurité contre les étudiants d'une école de Bagdad qui organisaient une manifestation pacifique.
Ce militant de 26 ans, poète et artiste, a participé à la plupart des manifestations à Bagdad depuis 2011 et il a été battu et arrêté à plusieurs reprises. Il est diplômé du département d'informatique de l'université de technologie de Bagdad et venait tout juste de trouver un emploi, une semaine avant son décès.
Des manifestations pacifiques se poursuivent dans tous les gouvernorats du centre et du sud du pays. À Bagdad, des centaines de milliers de manifestants se sont rassemblés sur la place Al-Tahrir dans le cadre d'un carnaval festif où les chauffeurs de tuk-tuks leur ont courageusement servi d'ambulance et de secours, devenant ainsi le symbole national des Irakiens. Des centaines de manifestants pacifiques se sont barricadés dans le bâtiment d'un restaurant turc de 12 étages situé sur la place Al-Tahrir, pour empêcher les forces de sécurité d'utiliser le bâtiment pour mettre fin au sit-in et cibler les manifestants à l'aide de divers types d'armes. Le 30 octobre 2019 peu avant minuit, les manifestants ont réussi à franchir le premier point de contrôle des forces de sécurité sur le pont Al-Jumhuriya, réduisant ainsi le risque de fumée et de bombes assourdissantes.
L'Observatoire irakien des droits humains (IOHR), l'Iraqi Network for Social Media (INSM), le Gulf Centre for Human Rights (GCHR), Front Line Defenders, et le PEN Center appellent les autorités irakiennes à :
- Respecter leurs obligations internationales en matière de protection des libertés de réunion et d'expression, en permettant aux manifestants de se rassembler pacifiquement sans craindre d'être la cible de répression ou d'arrestation, en veillant à ce que les médias fonctionnent librement et à ce que l'accès à Internet ne soit pas interdit ;
- Enquêter immédiatement sur les meurtres des défenseur-ses des droits humains, des journalistes et des manifestants pacifiques, en vue de publier les résultats et de traduire les responsables en justice conformément aux normes internationales ;
- Libérer immédiatement et sans condition tous les manifestants pacifiques et fournir des soins médicaux aux personnes qui en ont besoin ;
- Publier les conclusions des enquêtes que le gouvernement a dit avoir ouvertes sur l'assassinat des manifestants, y compris la publication intégrale de l'information par les médias ; et
- Garantir que tous les défenseur-ses des droits humains en Irak puissent mener à bien leur travail légitime sans restrictions ni représailles, y compris l'acharnement judiciaire.