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26 Juin 2020

Inquiétudes grandissantes pour la sécurité des journalistes et des défenseur-ses des droits des peuples autochtones au Guatemala lors d'une série de meurtres, campagnes de diffamation et menaces de mort

Les organisations de défense des droits humains font part de leurs préoccupations face à la recrudescence de la violence contre les défenseur-ses des droits humains au Guatemala. Il y a eu 405 attaques contre des défenseur-ses des droits humains au cours des cinq premiers mois de 2020. Au cours des dernières semaines, les défenseur-ses des droits humains qui œuvrent pour la défense de l'environnement, des droits des peuples autochtones, des droits des femmes, de la liberté d'expression, des droits des migrants et du droit à la justice et à une vie digne dans les régions de Santa Cruz Chiquimula, Izabal, Huehuetenango, Peten et Alta Verapaz, sont la cible d'assassinats, de menaces, de surveillance, de raids, de campagnes de diffamation et d'acharnement judiciaire, y compris de criminalisation.

La récente augmentation des meurtres, des campagnes de diffamation et des menaces de mort se produit dans un contexte politique complexe et d'épidémie de COVID-19, qui constitue un revers majeur pour le progrès démocratique dans le pays. L'Unité pour la protection des défenseur-ses des droits humains au Guatemala (UDEFEGUA), membre du réseau OMCT SOS-Torture, qui protège et promeut la gestion des risques pour les défenseur-ses des droits humains (DDH) au Guatemala, a recensé 405 attaques contre des DDH de janvier à mai 2020. Le nombre d'attaques au cours des cinq premiers mois de l'année 2020 équivaut à 80% des 494 cas documentés en 2019.

Les défenseurs des droits humains attaqués ces dernières semaines appartiennent aux organisations de la société civile AEPDI-Defensoría Q’eqchi’, Gremial de Pescadores artesanales del Estor, Fundación Guillermo Toriero, Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial, Prensa Comunitaria et Consejo Indígena Maya Chorti de Olopa, opérant à Santa Cruz Chiquimula, Izabal, Huehuetenango, Peten et Alta Verapaz.

Depuis 2017, des journalistes du journal indépendant Prensa Comunitaria font l'objet de menaces directes, d'actes d'intimidation à leur encontre et à l'encontre de leur famille et d'une surveillance de leurs domiciles et lieux de travail. La fréquence de ces attaques a considérablement augmenté ces derniers mois.

Le 20 février 2020, le journaliste Francisco Lucas Pedro (Palas Luin) de Prensa Comunitaria, fondateur de l'agence de presse Agencia Prensa Comunitaria Km 169 et coordinateur du mouvement de la société civile Barillas, a découvert qu'il y avait eu une descente dans son bureau. Le bureau, situé à Santa Cruz, a été perquisitionné par des inconnus, qui ont détruit des meubles et d'autres objets, et qui ont également volé quelques objets.

Le 5 mars 2020, le journaliste Manuel Toro, qui couvre les thèmes de la migration des enfants, des violences sexuelles contre les femmes Achi, de la justice et des réparations pour les massacres de Prensa Comunitaria, était en train de quitter l'ambassade des États-Unis quand il s'est rendu compte qu'il était surveillé. Des inconnus l'ont observé pendant plusieurs heures et l'ont menacé s'il avertissait quelqu'un qu'il avait été suivi. L'incident s'est produit a Guatemala City.

Le 9 mars 2020, un groupe de femmes journalistes de Prensa Comunitaria a été la cible d'une campagne de diffamation dans les médias conservateurs et sur les réseaux sociaux, pour avoir couvert la marche du 8 mars 2020 à Guatemala City.

Le 15 mai 2020, le journaliste Yobany Francisco Lucas, membre de Prensa Comunitaria et Agencia de Noticias Prensa Comunitaria Km 169, a été intercepté par deux hommes alors qu'il documentait un rassemblement au marché de la Placita à Huehuetenango. Les deux hommes, vêtus de vêtements civils, ont intimidé le journaliste et l'ont frappé à la tête, au dos et aux mains. Ils ont saisi et cassé son téléphone portable, l'ont insulté et menacé verbalement, l'ont forcé à supprimer les vidéos qu'il avait prises avant de le jeter hors du marché de la Placita avec les mains liées derrière le dos.

Le 6 juin 2020, le guérisseur maya Domingo Choc, membre de Releb'aal Saq'e, une association spirituelle qui pratique la médecine traditionnelle, a été brûlé vif à Petén, après avoir été accusé de sorcellerie. Domingo Choc avait travaillé comme chercheur collaborateur à l'Universidad Del Valle de Guatemala, à l'Université de Zurich, à l'University College London et au National Geographic.

Le 8 juin 2020, Alberto Cucul Choc, défenseur de l'environnement, a été tué par arme à feu dans l'Alta Verapaz. Il avait plaidé pour la préservation du parc national de Laguna Lachuá et plaidé pendant 13 ans contre l'exploitation illégale des bois fins et contre la chasse des espèces protégées. Le 11 juin dans le même quartier, le frère du défenseur Cofrade Jesus Caal, accusé de sorcellerie, a été détenu pendant plus d'une heure par des membres de la communauté Gancho Ceiba II, qui se sont ensuite rassemblés devant sa maison et ont menacé de brûler la moto familiale. Le fils du défenseur est un communicateur social pour Prensa Comunitaria et, avec son père, il œuvre pour promouvoir la protection des droits humains au Guatemala.

Le 11 juin 2020, le guérisseur maya Q'eqchi Elías Caal Oxom et son père ont été placés sous surveillance et menacés par la communauté Gancho Caoba 2 à Cobán, Alta Verapaz ; leur oncle a été détenu pendant plus d'une heure, et la famille Caal a été accusée de pratiquer la sorcellerie. Elias Caal Oxom et sa famille sont des guérisseurs et pratiquent la spiritualité maya.

Le 15 juin 2020, le défenseur et indigène Maya Chorti' Eduardo Alonzo Lucero, membre du Consejo Indígena Maya Chorti de Olopa et leader du mouvement d'opposition contre les activités minières de la société Cantera Los Manantiales, a été retrouvé mort sur le sommet Olopa, Chiquimula. Son corps portait des signes de torture. La société Cantera Los Manantiales, située dans la municipalité de Ch’Orti’ à Olopa, Chiquimula, est critiquée par les organisations guatémaltèques de défense des droits humains pour avoir causé de graves violations des droits humains des peuples autochtones. En novembre 2019, la Cour suprême de justice (CSJ) a suspendu le permis d'exploitation de la société et le tribunal d'Amparos a par la suite accordé au Conseil indigène Maya Ch'orti d'Olopa une injonction provisoire, déclarant que la société avait violé les accords qu'elle avait signés avec la communauté.

Le 19 juin 2020, la journaliste Jovanna Mariám García, membre de Prensa Comunitaria et RUDA femmes + territoire, a été dénoncée pour de fausses accusations de diffamation, après avoir dénoncé la divulgation d'une vidéo à caractère sexuel d'une étudiante, vraisemblablement par le professeur Hugo Cabreras Navas, qui occupe également le poste de vice-ministre du MAGA, ministère de l'Agriculture, de l'élevage et de l'alimentation.

Le 12 juin 2020, dans le cadre des manifestations dans la municipalité d'El Estor organisées en réponse au récent licenciement de travailleurs de l'entreprise CGN-PRONICO, des membres de l'AEPDI-Defensoría Q'eqchi ', Radio Comunitaria Xyaab' Tzuultaq'a et Prensa Comunitaria ont été pris pour cible. Ils ont fait l'objet de menaces, de tentatives d'attaques par arme à feu, de surveillance et de campagnes diffamatoires fondées sur un discours discriminatoire et raciste à l'encontre des défenseur-ses des droits humains autochtones.

L'AEPDI-Defensoría Q'eqchi, Radio Comunitaria Xyaab 'Tzuultaq'a et les médias indépendants Prensa Comunitaria mènent des activités sociales et juridiques et défendent les intérêts des communautés autochtones de la municipalité d'El Estor. Ils ont notamment travaillé étroitement sur le dossier pénal du projet minier de la société CGN-Pronico à El Estor, Izabal. Lors de la manifestation des mineurs le 12 juin, les domiciles des défenseur-ses des droits humains et des journalistes qui s'opposent à l'extraction de la mine auraient été surveillés et les défenseur-ses auraient été intimidés par des inconnus.

Les journalistes Carlos Ernesto Choc et Baudilio Choc Mac, membres de Prensa Comunitaria, dont le travail et l'activisme ont une large portée, facilitant l'accès aux ressources vitales pour les communautés de la municipalité d'El Estor, ainsi que des membres de Gremial de Pescadores Artesanos del Estor, ont été surveillés par des inconnus dans le cadre de la manifestation des mineurs. Carlos Ernesto Choc est visé depuis 2017 pour son travail en faveur des droits humains sous la forme d'attaques numériques, d'acharnement judiciaire et de tentatives de meurtre. Il a également été victime de criminalisation par le biais de fausses accusations portées contre lui par la société CGN-PRONICO, et de tentatives d'assasinats, qui auraient été ordonnées par l'ancien maire d'El Estor, Rody Méndez, en 2018. Les menaces contre sa vie se sont intensifiées à un point tel que le défenseur a été contraint de déménager pour sa sécurité.

Depuis le 19 mai 2020, les communautés d'Izabal ont mené une série de manifestations et de barrages routiers contre le refus de la société CGN-Pronico de suspendre ses opérations dans le cadre de l'épidémie de COVID-19, violant l'ordre de suspension délivré à la société par le Tribunal constitutionnel. Ces manifestations se déroulent parallèlement à celles des employés de la mine licenciés et des membres de la communauté qui réclament une aide humanitaire pendant la pandémie. Ces manifestations ont généré un climat de tension à l'encontre des défenseur-ses des droits humains, accentuant le risque qu'ils soient pris pour cible. Le choix de la rhétorique de la société minière envers les défenseurs, qui les blâme pour les licenciements et les dommages économiques, est une autre source de préoccupation. Les opérations de la société CGN-Pronico sont constitutionnellement illégales depuis le 18 juillet 2018, après que la Cour constitutionnelle (CC) a ordonné la suspension de ses opérations pour ne pas avoir organisé une consultation préalable.

Front Line Defenders est profondément préoccupée par les attaques, les meurtres, la surveillance, les menaces, les campagnes de diffamation et l'acharnement judiciaire contre les défenseur-ses de l'environnement et les défenseur-ses des droits des peuples autochtones, ainsi que des journalistes de la presse indépendante qui s'efforcent de dénoncer les graves violations des droits humains commises par les entreprises dans le secteur minier. Front Line Defenders exhorte le gouvernement guatémaltèque à mener des enquêtes immédiates, exhaustives et impartiales sur l'implication des sociétés minières, des membres du gouvernement ou d'autres acteurs dans les attaques contre les défenseur-ses des droits humains dans le pays, en vue de publier les conclusions et de traduire en justice les responsables, conformément aux normes internationales.

Front Line Defenders exhorte le gouvernement guatémaltèque à surveiller les opérations illégales des sociétés minières dans le contexte de l'épidémie de COVID-19 et à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit des peuples autochtones à donner un consentement libre, préalable et éclairé concernant la mise en œuvre de projets susceptibles de les affecter, conformément à la Convention 169 de l'Organisation internationale du Travail. Front Line Defenders appelle les autorités à veiller à ce que les défenseur-ses des droits humains puissent mener à bien leur travail de défense des droits humains sans compromettre leur intégrité.