Front Line Defenders condamne l'intensification des actions contre les défenseur-ses du droit du travail et des droits syndicaux en Iran
Depuis début avril 2020, six défenseur-ses du droit du travail et des droits syndicaux sont de plus en plus harcelés, notamment par le biais de citations à comparaître, de nouvelles accusations et du refus de libération provisoire malgré la crise actuelle du COVID-19. Ces actions ciblées contre Jafar Azimzadeh, Parvin Mohammadi, Nahid Khodajou, Shahpour Ehsanirad, Esmail Abdi et Mohammad Habibi font suite aux récentes critiques des défenseur-ses des droits du travail et des organisations à l'encontre de la décision des autorités iraniennes du 8 avril 2020, d'augmenter le salaire minimum de manière infime, sans négocier avec les représentants des groupes de défense des droits des travailleurs.
Jafar Azimzadeh est secrétaire du conseil d'administration du Free Workers Union of Iran (Syndicat libre des travailleurs iraniens). Parvin Mohammadi est vice-présidente du syndicat et Nahid Khodajou est membre du conseil d'administration. Le Free Union Workers of Iran est un groupe qui se consacre à la défense du droit du travail et à l'amélioration des conditions de travail. Il n'est pas officiellement reconnu par les autorités iraniennes et un grand nombre de ses membres dirigeants sont victimes de harcèlement. Shapour Ehsanirad est l'un des membres fondateurs de l'Association of the Retired Workers of the Social Security Organisation (Association des travailleurs retraités de l'organisation de sécurité sociale) et membre du conseil d'administration de Free Union Workers of Iran. Esmail Abdi est le secrétaire général de l’Iran’s Teachers’ Trade Association - ITTA. Mohammad Habibi est membre actif du conseil d’administration du Teacher’s Trade Union of Tehran (Syndicat des enseignants de Téhéran).
Le 12 avril 2020, la famille du défenseur du droit du travail Jafar Azimzadeh a été informée par SMS qu'une nouvelle accusation avait été portée contre lui devant la deuxième chambre du tribunal de Shahid Moqadas Amniat (Evin). Ni Jafar Azimzadeh ni sa famille n'ont été informés de la nature des nouvelles accusations et n'ont pas été convoqués à une audience portant sur ces charges. Jafar Azimzadeh purge actuellement une peine de 5 ans d'emprisonnement pour avoir "agi contre la sécurité nationale en rassemblant et en planifiant" et "diffusion de propagande contre l'État", prononcée par la 15e chambre du Tribunal révolutionnaire de Téhéran. Le 9 avril 2020, la famille du défenseur a été informée qu'il n'avait pas été libéré temporairement pendant l'épidémie de COVID-19 alors qu'il souffre de maladies cardiaques et digestives. Les nouvelles charges portées contre lui ne sont toujours pas connues.
Jafar Azimzadeh a déjà purgé deux ans et un mois de sa peine de cinq ans, ce qui le rend techniquement éligible à la nouvelle directive du système judiciaire iranien visant à accorder une permission à certains prisonniers pendant la pandémie de COVID-19. La directive autorise la libération temporaire des détenus inculpés pour des charges relatives à sécurité nationale s'ils ont une caution "raisonnable'', une peine de prison de moins de 5 ans et ont déjà purgé un tiers ou plus de leur peine. Cependant, les critères de la directive n'ont pas été officialisés et selon les membres de la famille des DDH emprisonnés, les décisions semblent être prises au cas par cas.
Le 12 avril 2020, le défenseur des droits humains Shahpour Ehsanirad a été convoqué devant la section 1 du département d'application des peines de la prison Evin pour purger sa peine de six ans de prison malgré des problèmes respiratoires et la situation actuelle relative au COVID-19. En septembre 2019, le tribunal pénal de la ville de Saveh l'a condamné à six ans de prison pour "rassemblement et collusion contre la sécurité nationale" et "propagande contre l'État", en lien avec son plaidoyer pacifique en faveur des droits des travailleurs.
Le 13 avril 2020, des représentants du tribunal ont informé la défenseuse des droits humains Parvin Mohammadi que sa maison serait mise aux enchères dans le cadre de la caution utilisée pour la libération provisoire de son collègue défenseur Jafar Azimzadeh en septembre 2017 et décembre 2016. Parvin Mohammadi a été arrêtée le 28 janvier 2019 et accusée de "rassemblement et collusion contre la sécurité nationale" par la 1ère chambre du tribunal révolutionnaire de Karaj. Elle a commencé à purger sa peine d'un an le 7 décembre 2019. Le 26 mars 2020, elle a été libérée temporairement de prison en raison de l'épidémie de COVID-19. Cependant, elle devrait retourner en prison pour terminer sa peine, bien qu'elle semble remplir les critères d'une amnistie gouvernementale informelle que les autorités judiciaires auraient accordés à certains détenus temporairement libérés pendant la crise du COVID-19. Elle souffre de migraines sévères et a développé une hernie discale vertébrale pendant son séjour en prison.
Le 16 avril 2020, Nahid Khodajou, défenseuse des droits des femmes et du droit du travail, a été informée verbalement que la cour d'appel avait tenu une audience relative à son appel, en l'absence de son avocat ou de la défenseuse elle-même, et qu'elle a confirmé le verdict initial. Nahid Khodajou avait été arrêtée lors des manifestations organisées à l'occasion de la fête du Travail le 1er mai 2019 devant le Parlement à Téhéran, et a été libérée sous caution le 3 juin 2019. Cependant, le 10 octobre 2019, le tribunal révolutionnaire de Téhéran l'a condamnée à six ans de prison et à 74 coups de fouet pour avoir "agi contre la sécurité nationale en rassemblant et en planifiant" et "trouble de l'ordre public", en lien avec sa participation aux manifestations lors de la fête du Travail.
Le 20 avril 2020, Esmail Abdi a comparu devant le tribunal de la prison Evin pour demander la prolongation sa libération provisoire pendant la crise du COVID-19, dont il avait bénéficié le 8 mars 2020. Sa demande a été rejetée et il a été renvoyé en prison. Le défenseur du droit du travail Esmail Abdi a été emprisonné le 9 novembre 2016 après que la cour d'appel de Téhéran a confirmé sa peine de six ans de prison pour des accusations liées à son travail syndical pacifique. Le 10 avril 2020, Esmail Abdi, Jafar Azimzadeh et deux autres défenseurs des droits humains ont publié une déclaration mettant en garde contre le danger des négligences gouvernementales concernant le COVID-19, la mauvaise protection de la santé et de l'hygiène dans les prisons, et critiquant l'approche sélective des autorités pénitentiaires qui privent les prisonniers de conscience d'une permission temporaire pendant la pandémie. Front Line Defenders estime que la publication de cette déclaration, ainsi que les critiques par les défenseurs des droits humains de la récente décision du gouvernement sur le salaire minimum, sont les possibles raisons du harcèlement accru dont ils-elles sont victimes.
Le 22 avril 2020, le défenseur des droits humains Mohammad Habibi a reçu une lettre de licenciement du ministère iranien de l'Éducation, mettant ainsi fin à sa carrière d'enseignant après dix-huit ans. Front Line Defenders estime qu'il s'agit d'une conséquence de sa détention arbitraire depuis le 4 août 2018. Le défenseur ne bénéficie pas d'une libération temporaire pendant la crise du COVID-19, bien qu'il souffre d'une infection pulmonaire chronique. Le 4 août 2018, Mohammad Habibi a été condamné à sept ans et demi de prison pour "collusion contre la sécurité nationale", à 18 mois de prison pour "propagande contre le régime" et à 18 mois de prison pour "atteinte à l'ordre public". Il est également sous le coup d'une interdiction de voyager de deux ans, ainsi que d’une interdiction de participer à toute activité politique ou syndicale pendant la même période.
Front Line Defenders est gravement préoccupée par l'intensification du harcèlement contre les défenseur-ses du droit du travail et des droits syndicaux iraniens, notamment par le biais de citations à comparaître, de nouvelles accusations et du refus arbitraire de libération temporaire pendant la pandémie de COVID-19. Front Line Defenders estime que les actions ciblées contre Jafar Azimzadeh, Parvin Mohammadi, Nahid Khodajou, Shahpour Ehsanirad, Esmail Abdi et Mohammad Habibi sont liées à leurs critiques de la récente décision du gouvernement d'augmenter le salaire minimum de manière infime suite aux négociations qui ont exclu les groupes concernés qui travaillent pacifiquement pour les droits des travailleurs et des employeurs. Les actions ciblées contre les défenseur-ses du droit du travail emprisonnés intervient également au moment où la manière dont le gouvernement gère la crise du COVID-19 est très critiquée, notamment en ce qui concerne les conditions de détention et la libération provisoire des prisonniers. Front Line Defenders estime en outre qu'un harcèlement accru des défenseur-ses du droit du travail pourrait viser à les faire taire afin d'empêcher les manifestations lors de la prochaine fête du Travail.
Front Line Defenders appelle les autorités iraniennes à cesser immédiatement de harceler des défenseur-ses du droit du travail et des droits syndicaux, à abandonner les charges retenues contre eux et à libérer sans condition ceux qui restent emprisonnés, car il semble qu'ils soient pris pour cible uniquement en raison de leurs activités légitimes en faveur des droits humains. Elle appelle en outre les autorités à garantir la protection des défenseur-ses des droits humains détenus et les mesures d’hygiène, et à leur accorder un accès non discriminatoire à la libération provisoire et aux permissions pendant la pandémie, conformément à la directive COVID-19 du système judiciaire iranien.