La Chine doit protéger les droits de Huang Xueqin et Wang Jianbing, défenseur·es des droits humains détenus
Aujourd’hui, 19 septembre 2022, marque un an de détention pour deux jeunes défenseurs des droits humains chinois : Huang Xueqin, une journaliste indépendante et personne-clé du mouvement #MeToo en Chine et Wang Jianbing, un défenseur du droit du travail1.
Nous, groupes de la société civile soussignés, appelons les autorités chinoises à respecter et protéger leurs droits en détention, incluant l’accès à un·e avocat·e, une communication libre avec les membres de leurs familles, le droit à la santé et le droit à l’intégrité physique. Nous mettons l’accent sur le caractère arbitraire de leur détention, et nous faisons appel aux autorités pour les libérer et les autoriser à continuer leurs activités qui constituent d’importantes contributions à la justice sociale.
Qui sont Huang Xueqin et Wang Jianbing?
Dans les années 2010, Huang Xueqin a travaillé en tant que journaliste pour les médias traditionnels, période durant laquelle elle a couvert des sujets d’intérêt public, tels que les droits des femmes, des scandales de corruption, la pollution industrielle et les enjeux importants rencontrés par des groupes socialement marginalisés. Elle a ensuite soutenu des victimes et survivantes de harcèlement sexuel et de violence basée sur le genre qui ont pris la parole dans le cadre du mouvement #MeToo en Chine. Le 17 octobre 2019, elle a été arrêtée par la police à Guangzhou et détenue durant trois mois en ‘résidence surveillée’ pour avoir simplement posté un article sur le mouvement contre l’amendement de la loi d’extradition à Hong Kong.
Wang Jianbing a suivi une voie différente, mais son histoire démontre, comme celle de Huang, l’engagement de la jeunesse chinoise envers ses communautés. Il a travaillé dans le secteur non lucratif pendant plus de seize ans, sur des problématiques allant de l’éducation, au handicap, à la jeunesse jusqu’au travail. Plus récemment, dès 2018 il a soutenu les victimes de maladies professionnelles, pour augmenter leur visibilité et leur permettre d’accéder aux services sociaux et à une aide juridique.
Détention arbitraire et au secret
Le 19 septembre 2021, les deux défenseur·es des droits humains ont été emmené·es par la police de Guangzhou; 37 jours plus tard, Huang et Wang étaient formellement arrêté·es et acccusé·es « d’inciter à la subversion du pouvoir d’Etat ». En utilisant la situation sanitaire due à la COVID-19 comme prétexte, elle et il ont été détenu·es à l’isolement durant cinq mois et ont fait l’objet d’interrogatoires secrets, dans des conditions similaires à celles de la « résidence surveillée dans un lieu désigné » (RSDL, en anglais). Après des mois de retard et en l’absence de garanties de procédures équitables, leur dossier a été transféré au tribunal pour la première fois au début du mois d’août 2022.
Nous condamnons fermement les détentions d’une durée excessive de Huang et Wang. Dans une Communication envoyée au gouvernement chinois en février 2022, six mécanismes experts indépendants de l’ONU – incluant la Rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits humains et le Groupe de travail sur les détentions arbitraires – ont exprimé de vives préoccupations quant à la disparition de Wang et sa privation de liberté. Ils ont affirmé que les activités de Wang étaient protégées et légales et que les autorités chinoises ont eu recours à une définition large de « mise en danger de la sécurité nationale » qui est contraire au droit international relatif aux droits humains.
En mai 2022, le Groupe de travail sur la détention arbitraire est allé plus loin et a formellement déclaré que la détention de Wang était « arbitraire », exhortant les autorités à garantir sa libération immédiate ainsi que l’accès à un recours. Prenant en compte d’autres cas chinois similaires, le Groupe de travail a aussi invité la Chine à procéder à une enquête indépendante et approfondie sur ce cas, en prenant des mesures afin que les auteur·es de ces violations de droits en soient tenu·es responsables.
Nous faisons écho à cette demande : les autorités chinoises devraient respecter cette conclusion de l’ONU et libérer immédiatement Huang Xueqin et Wang Jianbing.
Risques de torture et de détérioration de la santé
En sus du défaut de bases juridiques pour leur détention, nous sommes également préoccupés par les conditions de détention de Wang et Huang. En ayant recours au prétexte de l’isolement vis-à-vis de la COVID-19, Wang a fait l’objet d’une détention isolée et au secret au cours de laquelle il a subi des violences ainsi que des abus physiques et psychologiques. Sa santé physique s’est dégradée, en partie à cause d’une alimentation irrégulière et inadaptée, tandis qu’il souffrait également de sévices physiques et psychologiques et de dépression. L’ONU et des expert·es juridiques ont constaté des risques similaires, pouvant s’apparenter à des tortures et traitements cruels, inhumains ou dégradants, concernant d’autres pratiques chinoises en matière de détention – incluant la “résidence surveillée dans un lieu désigné” (RSDL). Selon l’Ensemble de règles a minima pour le traitement des détenu·es (les « Règles Nelson Mandela »), l’isolement prolongé – supérieur à quinze jours – constitue une forme de torture ou de mauvais traitement selon le droit international et devrait donc être interdit dans tous les cas.
Les conditions de détention de Huang Xueqin sont d’autant plus préoccupantes considérant que, l’année durant laquelle elle a été privée de liberté – de nouveau, sans accès officiel à un·e avocat·e ni communication avec sa famille – personne, incluant elle-même ou le conseiller juridique désigné par sa famille, n’a reçu de notification formelle sur sa situation. Nous sommes profondément préoccupé·es par sa santé physique et mentale et rappelons que la détention au secret est une grave violation du droit international.
L’absence de garanties suffisantes de procès équitable
Eu égard aux circonstances, plusieurs avocats courageux ont pu se présenter pour défendre Huang Xueqin. Mais il est alarmant que Huang n’ait pas pu désigner l’avocat·e de son choix. En mars de cette année, sa famille s’est impliquée, en désignant une avocate pour son compte ; celle-ci n’arrivait ni à rencontrer sa cliente ni à consulter le dossier juridique. Elle a été néanmoins renvoyée deux semaines seulement après cette désignation – selon les autorités, avec l’accord de Huang. Le droit à un conseil juridique de son choix est non seulement au cœur des standards internationaux des droits humains, mais également un droit garanti par le droit pénal de la République populaire de Chine.
L’effet dissuasif sur les droits de la défense
Comme c’est trop souvent le cas en Chine, les « enquêtes » des autorités sur les cas de Huang et Wang ont eu des impacts concrets sur l’ensemble de la société civile. Près de soixante-dix ami·es et connaissances des deux défenseur·es à travers le pays ont été convoqué·es par la police de Guangzhou et/ou des autorités locales. Plusieurs d’entre eux/elles ont été interrogé·es jusqu’à vingt-quatre heures d’affilée – certain·es plusieurs fois – et forcé·es à leur remettre leurs appareils électroniques. La police a également contraint et menacé certains individus pour qu’ils signent de fausses déclarations reconnaissant qu’ils avaient participé à des activités de formation ayant pour but de « subvertir le pouvoir de l’Etat » et que ces simples rassemblements sociaux étaient en réalité des évènements politiques visant à critiquer le gouvernement. Les expert·es de l'ONU ont averti à plusieurs reprises la Chine que la présentation de preuves résultant de confessions contraintes ou forcées est une violation du droit international et que les officiels engagés dans cette pratique doivent être sanctionnés.
Un appel à agir
Un an plus tard, nous appelons les autorités chinoises à respecter les standards des droits humains, en particulier leurs obligations internationales, dans les cas de Huang Xueqin et Wang Jianbing. Jusqu’à ce que les autorités chinoises mettent en œuvre les recommandations de l’ONU et que Huang et Wang soient libéré·es, les responsables concernés devraient :
S’assurer que Huang et Wang peuvent librement recourir à un conseil juridique de leur choix, et protéger les droits des avocat·es à défendre leurs client·es.
Supprimer tous les obstacles à la libre communication entre Huang et Wang et leurs familles et ami·es, que ce soit par écrit ou par téléphone.
Fournir un ensemble de services de santé physique et mentale à Huang et Wang, incluant des examens consensuels par un personnel médical indépendant, et faire part de leurs conclusions aux avocat·es et aux membres de la famille ou autre, sur requête.
Garantir que Huang et Wang ne feront plus l’objet d’isolement ou d’autres formes de torture ou traitement cruel, inhumain ou dégradant et que les conditions de leur détention seront conformes aux standards internationaux des droits humains.
Cesser les actions visant à intimider ou faire taire des membres de la société civile qui s’engagent dans un plaidoyer pour la protection des droits et s’assurer qu’aucune preuve obtenue par des confessions contraintes ne soit admise dans les procès de Huang et Wang – ou autres.
Signé:
ACAT-France
Amnesty International
Center for Reproductive Rights
Center for Women’s Global Leadership, Rutgers University
Changsha Funeng
China Against the Death Penalty
China Labour Bulletin
CSW (Christian Solidarity Worldwide)
Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), in the framework of the Observatory for the Protection of Human Rights Defenders
Frontline Defenders
Hong Kong Outlanders
Hong Kong Outlanders in Taiwan
Human Rights in China
Human Rights Now
Index on Censorship
International Service for Human Rights
Lawyer’s Rights Watch Canada
Network of Chinese Human Rights Defenders
NüVoices
Reporters sans frontières (RSF)
Safeguard Defenders
台灣人權促進會 Taiwan Association for Human Rights
Taiwan Labour Front
The Rights Practice
Uyghur Human Rights Project
World Organisation Against Torture (OMCT), in the framework of the Observatory for the Protection of Human Rights Defenders
1 Puisque leurs cas sont étroitement liés, leurs amis et soutiens font référence à eux en tant que cas unique, le « cas Xuebing », avec un mot-valise constitué de leurs prénoms.