La répression de la fin de l'année en la Chine contre les défenseur-ses des droits humains trahit ses engagements internationaux
En décembre 2019, au moins 23 défenseur-ses des droits humains et leur famille à travers le pays ont été arrêtés, placés en détention, convoqués à des interrogatoires, soumis à des interdictions de voyager ou condamnés. Ces cas sont les derniers exemples d'un schéma persistant d'attaques menées par le gouvernement contre l'espace civique en Chine, malgré ses engagements internationaux de garantir un environnement sûr pour les défenseur-ses des droits humains, les journalistes et les minorités. Front Line Defenders exhorte la communauté internationale à prendre des mesures efficaces visant à tenir les autorités chinoises responsables de ne pas avoir tenu compte des recommandations répétées émises par les gouvernements concernés et les mécanismes des droits humains des Nations Unies au cours de l'année écoulée, qui appelaient à libérer immédiatement tous les défenseur-ses des droits humains emprisonnés, à assurer des réparations adéquates pour leur détention arbitraire et à garantir qu'elles rendent des comptes pour les exactions perpétrées contre eux et leur famille.
Le 3 décembre 2019, le bureau de la sécurité publique de Nanning, dans la province du Guangxi, a officiellement arrêté l'avocat en droits humains Qin Yongpei (覃永沛) pour "incitation à la subversion du pouvoir de l'État". La police de Nanning a perquisitionné le cabinet de Qin et l'a arrêté le 31 octobre 2019. Les autorités ont révoqué sa licence d'avocat en mai 2018.
Le 16 décembre 2019, l'avocat pékinois, Li Chunfu (李春富), a été intercepté par les autorités de l'immigration à un poste frontalier de la province du Yunnan alors qu'il était en route vers le Laos. Le bureau de la sécurité publique de Pékin lui a appris qu'il est sous le coup d'une interdiction de voyager.
Le 17 décembre 2019, la police de Guangzhou, dans la province du Guangdong, a arrêté le défenseur des droits du travail Chen Weixiang (陈伟祥) à son domicile et l'a placé en détention administrative pour 15 jours, pour un motif inconnu. Chen Weixiang est le co-fondateur de la chaîne WeChat "Xin Huan Wei", une plateforme en ligne qui défend les droits des travailleurs du secteur de l'assainissement. Il a été libéré le 2 janvier 2020.
Le 26 décembre 2019, la police de la province côtière orientale du Shandong a arrêté quatre défenseurs des droits humains à Pékin et dans la province côtière du sud-est du Fujian. Ces défenseurs sont : l'avocat en droits humains et ancien prisonnier politique Ding Jiaxi (丁家喜) (basé à Pékin), le militant Dai Zhenya (戴振亚) (basé à Xiamen, Fujian), le professeur et ancien prisonnier politique Zhang Zhongshun (张忠顺) (basé à Yantai , Shandong), et l'ouvrier d'usine et activiste Li Yingjun (李英俊) (basé à Zhangzhou, Fujian). D'autres défenseurs des droits humains ont rapporté que Dai Zhenya et Zhang Zhongshun ont été placés sous "surveillance résidentielle dans un endroit désigné" (RSDL), et sont soupçonnés respectivement d'"incitation à la subversion du pouvoir de l'État" et de "subversion du pouvoir de l'État". On ignore pour l'instant les raisons juridiques de l'arrestation de Ding Jiaxi et Li Yingjun.
Le 29 décembre 2019, la police de Jinhua, dans la province du Zhejiang, a arrêté l'avocat en droits humains Huang Zhiqiang (黄志强) et l'a officiellement incarcéré dans le centre de détention municipal de Jinhua ; il est soupçonné d'avoir "provoqué une querelle et des troubles". Il a ensuite été libéré durant le week-end du 3-5 janvier. La police de Jinhua a également arrêté les militants Mao Lijun (毛立军), Tang Xiaoyun (唐晓云), Xin Zhongcheng (辛忠诚), Wu Zexi (吴 泽西) et Zhu Yufu (朱 虞 夫) pour les interroger et les a libérés le lendemain.
Dans d'autres parties du pays, la police a également approché et interrogé les familles et les amis d'au moins quatre autres défenseur-ses des droits humains, qui souhaitent garder l'anonymat pour des raisons de sécurité.
Le 30 décembre 2019, le tribunal populaire intermédiaire de Chengdu a condamné le fondateur et pasteur de l'église Early Rain Covenant, Wang Yi (王怡), à neuf ans de prison pour "incitation à la subversion du pouvoir de l'État" et "opérations commerciales illégales". Wang Yi est un défenseur du droit à la liberté de religion et il est détenu depuis décembre 2018.
Le 30 décembre 2019 également, l'avocat en droits humains basé dans le Sichuan, Lu Siwei (卢思 位), a été interpellé par les autorités de l'immigration alors qu'il se rendait à Hong Kong pour assister à un séminaire juridique. Les autorités de l'immigration lui ont dit que les "autorités judiciaires" avaient décrété une interdiction de sortie mais n'ont pas fourni de détails supplémentaires. Le 31 décembre, les autorités frontalières ont également arrêté l'avocat en droits humains basé au Zhejiang, Zhuang Daohe (庄道鹤), alors qu'il se rendait en Corée du Sud. La police de Hangzhou l'a ensuite interrogé et soupçonné d'avoir "provoqué une querelle et des troubles" et l'a libéré en fin d'après-midi le 2 janvier 2020. Le même jour, la police de Huzhou, dans la province du Zhejiang, a placé le défenseur des droits humains Wei Xiaobing (卫 小兵) en détention administrative pour 15 jours pour avoir "provoqué une querelle et des troubles" soi-disant après avoir discuté de la répression de la fin d'année dans un groupe WeChat.
Le 31 décembre, la police a arrêté les avocats en droits humains Liu Shuqing (刘书庆) et Lu Tingge (卢廷 阁) pour les interroger respectivement à Jinan, province du Shandong et à Shijiazhuang, province du Hebei. Les deux avocats ont été autorisés à rentrer chez eux le 1er janvier 2020.
Front Line Defenders estime que ces défenseurs des droits humains sont ciblés uniquement pour avoir exercé leurs libertés fondamentales ou défendu les droits humains. Les actions du gouvernement sont clairement incompatibles avec les obligations légales de la Chine de respecter et de protéger les droits humains en vertu de la Constitution chinoise et du droit international relatif aux droits humains. Elles bafouent également l'engagement de la Chine de respecter les "normes les plus élevées en matière de droits de l'Homme" en tant que membre du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies au cours des six dernières années, ainsi que les recommandations de l'Examen périodique universel (EPU) qu'elle a acceptées l'année dernière, notamment de garantir un environnement favorable aux défenseur-ses des droits humains et ONG, y compris les recommandations suivantes faites par les gouvernements européens et latino-américains :
Garantir la liberté d'opinion et d'expression, en intensifiant les efforts pour créer un environnement dans lequel les journalistes, les défenseur-ses des droits humains et les ONG peuvent opérer librement conformément aux normes internationales (Italie) ;
Appliquer des politiques publiques pour protéger les défenseur-ses des droits humains conformément aux normes internationales (Espagne) ;
Prendre les mesures nécessaires pour garantir que les défenseur-ses des droits humains puissent exercer leur liberté d'expression et d'association pacifique (Belgique) ;
Garantir le plein exercice des libertés d'association et d'expression des défenseur-ses des droits humains et des minorités, conformément au droit international relatif aux droits humains (Costa Rica) ;
Permettre à tous les membres de la société civile de s'engager librement dans les mécanismes relatifs aux droits humains internationaux sans craindre ni intimidations ni représailles (Estonie) ;
Prendre des mesures immédiates pour permettre aux défenseur-ses des droits humains et aux avocats d'exercer leur droit à la liberté d'expression et d'opinion sans la crainte de menaces, harcèlement ou répercussions (Irlande) ;
Adopter les mesures nécessaires pour offrir un environnement sûr à ceux qui œuvrent pour la protection et la promotion des droits humains, y compris les défenseur-ses des droits humains et les journalistes, et enquêter et punir tous les actes de violence commis à leur encontre (Argentine) ;
Veiller à ce que les défenseur-ses des droits humains puissent mener leur travail à bien, sans subir de harcèlement, d'intimidation ou toute forme de représailles (Liechtenstein).
Tout au long de 2019, les mécanismes des droits humains des Nations Unies et les institutions de l'UE ont continué à signaler et à soulever des préoccupations concernant la tendance à ne pas appliquer les recommandations de l'EPU.
En 2019, 24 titulaires de mandat au titre des procédures spéciales - des experts indépendants en droits humains nommés par le Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies - ont envoyé 19 appels et lettres aux autorités chinoises, y compris au gouvernement de Hong Kong, soulevant de nombreuses inquiétudes concernant les lois et réglementations restrictives, l'utilisation de la force contre les manifestants pacifiques et la répression d'au moins 27 défenseur-ses des droits humains, notamment certains DDH dans d'autres pays qui plaident pour que la responsabilité soit établie pour les exactions perpétrées dans le cadre de projets de développement financés et / ou mis en œuvre par des entreprises chinoises. 13 des 19 courriers envoyés au gouvernement ont été cosignés par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains.
Des experts des Nations Unies ont également publié quatre déclarations publiques sur la Chine l'année dernière, exprimant leur inquiétude concernant le manque d'enquête sur la mort en 2014 de la défenseuse des droits humains Cao Shunli (曹顺利), sur le harcèlement de l'avocat en droits humains Jiang Tianyong (江天勇) après sa libération de prison, sur le traitement réservé aux défenseur-ses des droits humains et aux manifestants pacifiques à Hong Kong, ainsi que sur le sort de l'universitaire ouïghour Tashpolat Tiyip. Dans son dernier rapport sur l'impunité à l'égard des abus commis contre les défenseur-ses des droits humains, le Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits humains a mis en lumière la radiation du barreau des avocats.
Lors de ses deux premières sessions en 2019, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (WGAD) a émis quatre avis officiels, constatant que la détention de six défenseur-ses des droits humains chinois - Cao Sanqiang (曹三强), Jiang Rong (蒋 蓉), Qin Yongmin (秦永敏), Wang Yi (王怡), Yu Wensheng et Zhen Jianghua (甄江华) - viole le droit international. Dans les six cas, le WGAD a appelé la Chine à libérer immédiatement les défenseur-ses, à leur accorder un droit exécutoire à un dédommagement et à d'autres réparations, à garantir une enquête complète et indépendante sur les circonstances de leur détention arbitraire et à prendre des mesures appropriées contre les responsables de la violation de leurs droits. Sur les six, cinq sont toujours en prison ou en détention, et seul Zhen Jianghua a été libéré après avoir purgé sa peine.
Dans son rapport annuel présenté en septembre 2019, le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (WGEID) a rappelé qu'entre mai 2018 et mai 2019, 24 cas de disparition ont été signalés au gouvernement chinois, qui n'a pas clarifié aucun d'entre eux. Selon les derniers chiffres disponibles du WGEID, fin mai 2019, 68 cas étaient en suspens. À l'occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées, le 30 août 2019, Front Line Defenders a rejoint une campagne sur les réseaux sociaux mettant en lumière les histoires de défenseur-ses des droits humains et de leur famille victimes de disparitions forcées.
Dans son rapport annuel sur les représailles contre les défenseur-ses des droits humains qui coopèrent avec l'ONU, le Secrétaire général António Guterres a cité la détention et les peines de prison, les mauvais traitements pendant la détention, la saisie de biens et la surveillance parmi les mesures de rétorsion utilisées contre les défenseur-ses des droits humains. Le rapport fait état de nouvelles représailles contre Li Xiaoling (李小玲), Li Yuhan (李昱 函), Liu Zhengqing (刘正清), Xu Yan (徐艳) et Zhen Jianghua, ainsi que d'avancées dans dix anciennes affaires.
Dans chacune de ses trois allocutions devant le Conseil des droits de l'Homme en février, juin et septembre 2019, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, a abordé la question des droits humains en Chine, notamment en appelant à un accès complet et sans entrave "pour effectuer une évaluation indépendante des rapports en cours faisant état des disparitions forcées et des détentions arbitraires, en particulier dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang". En juillet et octobre 2019, plus de 20 gouvernements, dont la grande majorité sont des États membres de l'UE, ont adressé deux déclarations conjointes au Conseil des droits de l'Homme et à l'Assemblée générale des Nations Unies, respectivement, exprimant leurs préoccupations au sujet de la "détention arbitraire et des restrictions à la liberté de circulation" des minorités musulmanes et autres dans le Xinjiang, et a appelé à ce que les autorités permettent un accès significatif à la région aux observateurs internationaux indépendants.
En mars, juillet et septembre, la délégation de l'UE auprès des Nations unies à Genève a interpellé la Chine pour sa détention et les mauvais traitements qu'elle inflige aux défenseur-ses des droits humains soulevant des cas individuels par leurs noms. Les défenseurs mentionnés par l'UE étaient Wang Quanzhang (王全璋), Yu Wensheng, Qin Yongmin, Gao Zhisheng (高 智 晟), Ilham Tohti, Huang Qi (黄琦), Tashi Wangchuk, Tashpolat Tiyip, Li Yuhan, Wu Gan (吴 淦) , Cheng Yuan (程渊), Liu Dazhi (刘大志) et Wuge Jianxiong (吴葛健雄). Plusieurs États membres de l'UE tels que la République tchèque, l'Allemagne, l'Islande, les Pays-Bas et la Suède ont également fait part de leurs préoccupations concernant la Chine au Conseil.
En 2019, les institutions et les dirigeants de l'UE ont fait au moins 16 déclarations ou discours publics concernant les droits humains et la démocratie en Chine, y compris à Hong Kong. En mars, la Commission européenne a qualifié la Chine de "rivale systémique promouvant des modèles alternatifs de gouvernance". Le porte-parole de l'UE a exprimé ses préoccupations concernant le procès de l'avocat en droits humains Yu Wensheng, la condamnation du défenseur des droits Huang Qi et le quatrième anniversaire de la détention et des interrogatoires en masse des défenseur-ses des droits humains et des avocats, connus sous le nom de "répression des 709". À la suite du 37e cycle de dialogue UE-Chine sur les droits humains à Bruxelles début avril 2019, l'UE a publié une déclaration publique exprimant ses préoccupations concernant la "détérioration de la situation des droits civils et politiques en Chine et a souligné "l'arrestation et la détention d'un nombre important de défenseur-ses des droits humains et avocats." L'UE a nommé et appelé à la libération de plus de 30 défenseur-ses des droits humains chinois, tibétains, ouïghours et des droits des femmes.
Peu après le dialogue, la haute représentante et vice-présidente de l'UE, Federica Mogherini, a déclaré devant le Parlement européen que les défenseur-ses des droits humains et les avocats continuent d'être arrêtés et détenus en Chine et a déclaré qu'il était très important que les institutions de l'UE et les États membres soient unis et cohérents lorsqu'elle fait part de ses préoccupations relatives aux droits humains à la Chine. En juin, Federica Mogherini a publié une déclaration commémorant le 30e anniversaire de la répression violente des manifestations en faveur de la démocratie en 1989, tout en appelant également à la libération des défenseur-ses des droits humains. Après sa visite à Pékin en octobre 2019, Mogherini a déclaré publiquement qu'elle avait clairement indiqué aux dirigeants chinois que "l'UE continuera de défendre l'universalité, l'interdépendance et l'indivisibilité des droits humains".
Le 24 octobre 2019, le défenseur des droits humain ouïghour Ilham Tohti a reçu le prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de pensée.
Le 10 décembre 2019, alors que la répression de fin d'année était en cours, la délégation de l'UE à Pékin a publié une déclaration exprimant ses préoccupations "face aux arrestations, détentions et emprisonnements continus de défenseur-ses des droits humains, avocats et autres citoyens revendiquant les droits humains fondamentaux", et a appelé à mettre fin à "la détention et au harcèlement de ces citoyens chinois et autres, des défenseur-ses des droits humains et des membres de leur famille". Le même jour, des diplomates français et allemands ont remis le prix franco-allemand des droits de l'homme et de l'État de droit 2019 à la défenseuse des droits humains Li Wenzu (李文足), épouse de l'avocat en droits humains emprisonnée Wang Quanzhang, la félicitant d'avoir attiré l'attention de la communauté internationale sur le sort des avocats en droits humains en Chine.
Front Line Defenders salue ces déclarations publiques soutenant le travail des défenseur-ses des droits humains en Chine. Nous exhortons les gouvernements concernés à prendre des mesures supplémentaires concrètes et solides pour renforcer ces rhétoriques fondées sur des principes, notamment en :
Intégrant les préoccupations thématiques relatives aux droits humains et les cas individuels dans tous les domaines d'interactions - politiques, économiques, technologiques et culturels - entre les gouvernements concernés et le gouvernement chinois, y compris en faisant régulièrement part de ces préoccupations au plus haut niveau ;
Accroissant et garantissant l'accès à un soutien financier flexible et durable pour le renforcement des capacités et la protection des défenseur-ses des droits humains, des organisations et des réseaux en Chine ;
Introduisant et adoptant une législation ou une réglementation solide et transparente qui autorise des sanctions ciblées et opportunes, en consultation avec la société civile et les défenseur-ses des droits humains concernés, contre les fonctionnaires chinois responsables de violations flagrantes des droits humains et les entreprises, chinoises ou autres, qui se sont rendues complices d'aider ou d'encourager les violations des droits humains en Chine ;
Prenant des mesures significatives et visibles auprès des Nations Unies, de l'UE et d'autres organisations intergouvernementales pour engager et tenir la Chine responsable de son non-respect de ses obligations et engagements internationaux, notamment en soutenant les travaux du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, les Organes conventionnels et la Procédure spéciale.