Le Bahreïn n'est pas un candidat crédible à la présidence du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU
Le gouvernement du Bahreïn a nommé l'ambassadeur Yusuf Abdulkarim Bucheeri comme candidat à la présidence du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies (CDH) pour 2021. Cette évolution braque les projecteur sur une bataille sans précédent pour la présidence de l'instance, qui est généralement élue par consensus.
Une grande partie de la couverture médiatique se concentre sur les efforts de l'Arabie saoudite, de la Chine et de la Russie pour utiliser cela comme un stratagème pour bloquer la surveillance efficace des droits humains et pour réformer cet organisme des Nations Unies. Cependant, il est primordial de souligner à quel point il serait dommageable de nommer un diplomate bahreïni à la tête du CDH étant donné le bilan très critiqué du Gouvernement bahreïni en matière de droits humains. Dans son discours d'ouverture de la 36e session du Conseil des droits de l'Homme le 11 septembre 2017, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a exprimé sa préoccupation face à la détérioration significative de la situation des droits humains au Bahreïn et a évoqué l'incapacité du gouvernement bahreïni à enclencher de manière constructive et à mettre en œuvre les recommandations du CDH, du HCDH ou des différents rapporteurs spéciaux des Nations Unies. En outre, alors que nous commémorons le 10e anniversaire de l'écrasement du mouvement pour les droits humains et la démocratie au Bahreïn, nous devons également nous souvenir d'éminents défenseurs des droits humains bahreïnis, tels qu'Abdulhadi Al-Khawaja et Naji Fateel, qui sont toujours injustement emprisonnés.
Abdulhadi Al-Khawaja a été le coordinateur de la protection de Front Line Defenders pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord entre 2008 et 2011 en mettant en œuvre des programmes qui ont apporté un soutien indispensable aux défenseur-ses des droits humains dans toute la région. Le 9 avril 2011, les autorités bahreinies ont arrêté Abdulhadi Al-Khawaja lors d'une campagne de répression menée après des mois d'importantes manifestations pro-démocratie. Après son arrestation, le défenseur a été victime d'abus physiques pour lesquels il a dû subir une opération chirurgicale.
Comme l'a établi le rapport de la Bahrain Independent Commission of Inquiry (BICI), il y a eu une tendance générale à la maltraitance des personnes détenues dans le cadre des événements de février et mars 2011. La BICI a également signalé le recours à la torture systématique lors des interrogatoires pour obtenir des informations et, dans certains cas, des aveux. Nombre de ces techniques, qui étaient utilisées quotidiennement pendant des semaines et des mois, comprenaient des passages à tabac violents, la position debout forcée, l'utilisation d'appareils d'électrochocs et de cigarettes, la falaqa, les abus verbaux et sexuels, la privation de sommeil, les menaces de viol, de pendaison ainsi que d'autres techniques humiliantes et dégradantes. La BICI a recommandé que les condamnations des personnes accusées d'infractions liées à l'expression politique non violente soient réexaminées et que les peines soient commuées, ou dans certains cas, que les accusations en suspens contre elles soient abandonnées.
Depuis juin 2016, les autorités du Bahreïn ont considérablement intensifié leur répression contre les voix dissidentes. En juillet 2018, le Comité des droits de l'Homme a fait part de ses inquiétudes face aux nombreuses informations faisant état de représailles contre des défenseur-ses et des journalistes bahreïnis, en particulier lorsqu'ils collaboraient avec les organes de traité et le CDH. Cela comprenait des interdictions de voyager pour les défenseur-ses des droits humains, afin de les empêcher de participer à la session du Conseil des droits de l'Homme en mars 2019.
Avant que l'Examen à mi-parcours du Bahreïn ne soit présenté en novembre 2019, les organisations de la société civile ont imploré le Bahreïn d'utiliser le bilan de l'EPU pour réévaluer sa trajectoire en s'engageant avec le HCDH, notamment en reconnaissant et en appliquant les recommandations répétées, telles que la déclaration d'un moratoire sur la peine de mort, ou la libération d'un ou de plusieurs prisonniers comme point de départ d'un programme de réforme plus complet. En septembre 2020, avant la 45e session du CDH, une lettre conjointe a été adressée par les organisations de la société civile aux États membres et aux observateurs du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies, concernant le Bahreïn. Elle soulignait que bien que le Bahreïn occupe un siège au CDH depuis 2018, la situation dans le Royaume s'est considérablement aggravée. Ils ont souligné la nécessité pour le Bahreïn, en tant que membre du Conseil, de «respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains et de coopérer pleinement avec le Conseil».
En novembre 2018, cinq experts de l'ONU ont envoyé une lettre d'allégation au gouvernement du Bahreïn dans laquelle ils exprimaient leurs préoccupations concernant les violations des droits humains confirmées par la Direction des enquêtes criminelles du ministère de l'Intérieur. La lettre abordait aussi les violations des droits humains, en particulier l'affaire des brigades de Zulfiqar. Le refus du Bahreïn de coopérer avec les procédures spéciales de l’ONU va au-delà du refus des visites des rapporteurs spéciaux, il contredit aussi leurs travaux et leurs déclarations et ne répond pas à leurs communications. En 2017, Sayed Ahmed Al-Wadaei et trois autres prisonniers ont fait l'objet d'un appel urgent conjoint rédigé par le Groupe de travail sur la détention arbitraire et cinq rapporteurs spéciaux des Nations Unies. Le Gouvernement du Bahreïn a répondu que toutes les procédures suivies concernant Sayed Nazar Alwadaei étaient conformes à la loi.
La dernière visite de représentants des procédures spéciales au Bahreïn a eu lieu le 25 avril 2007. Avant 2007, le dernier rapport rédigé sur le Bahreïn par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture remonte à 1999 ; dans ce rapport, le Rapporteur déclarait qu'il était préoccupé par les allégations continues de torture et qu'il avait demandé une invitation à visiter le pays. Ses préoccupations découlaient de l’échec et du refus du gouvernement bahreïni d'aborder et d’enquêter de manière appropriée sur les allégations de torture commises contre des prisonniers en détention par des agents des forces de sécurité.
Il ressort clairement de ce qui précède que la nomination d’un représentant du gouvernement bahreïni à la présidence du Conseil des droits de l’Homme porterait gravement atteinte à la crédibilité de l’institution et saperait les efforts mondiaux de promotion et de défense des droits humains. Front Line Defenders exhorte tous les membres du Conseil des droits de l'Homme à déclarer qu'un candidat du Bahreïn n'est pas acceptable pour le moment et à veiller à ce qu'un candidat crédible soit élu président du CDH en 2021.