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24 Mars 2021

Les autorités devraient réclamer l’acquittement de tous les accusés dans le procès de Saturday Mothers/People

Le 25 mars a eu lieu la première audience du procès de 46 personnes accusées de « refus de se disperser malgré des avertissements et l’usage de la force » en vertu de l’article 32/1 de la loi turque sur les réunions et les manifestations (loi n° 2911) au cours de la 700e veillée hebdomadaire de Saturday Mothers/People, le 25 août 2018. 1 La police a utilisé une force excessive, notamment des canons à eau et des gaz lacrymogènes, pour disperser une foule importante et pacifique qui s’était rassemblée pour la veillée à Istanbul et a arrêté 46 personnes actuellement jugées. Si elles sont reconnues coupables, elles risquent entre six mois et trois ans de prison.

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Les 46 personnes incluent des défenseur-ses des droits humains, des militants politiques, des journalistes et des proches de victimes de disparitions forcées. Les poursuites infondées intentées contre ces 46 personnes pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique en faveur des droits humains ne sont que la dernière action gouvernementale répressive contre la société civile, les défenseur-ses des droits humains et ceux qui expriment pacifiquement leur dissidence en Turquie.

Amnesty International, Human Rights Watch et Front Line Defenders exhortent les autorités turques à demander l’acquittement immédiat des 46 personnes et à garantir leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique ; les autorités devraient garantir l’ouverture d’une enquête immédiate, approfondie et impartiale sur les allégations de recours excessif à la force et de mauvais traitements par la police sur la place Galatasaray à Istanbul le 25 août 2018, en vue de traduire les responsables en justice conformément aux normes internationales relatives aux procès équitables.

L’interdiction et la dispersion de la 700e veillée et la poursuite des membres de saturday Mothers/People

Les membres de Saturday Mothers/People sont des proches de personnes disparues de force dans les années 1980 et 1990 ; ils organisent une veillée pacifique tous les samedis au même endroit depuis mai 19952, appelant à la vérité et à la justice pour leurs proches. Ces veillées, qui ont vu la participation de très nombreuses personnes à des dates importantes telles que les 500e et 600e semaines, se sont déroulées pacifiquement sur la place Galatasaray d’Istanbul sans aucune restriction de la part des autorités.

La 700e veillée du 25 août 2018 a fait l’objet d’une interdiction par le gouverneur du district de Beyoğlu au motif que les autorités n’avaient pas été informées 48 heures auparavant. Vers 10 heures du matin, une cinquantaine de personnes sont arrivées tôt pour préparer la veillée. Les responsables de forces de l’ordre leur ont dit de se disperser et sont intervenus en employant une force excessive, notamment des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des balles en plastique. Au moment où la veillée devait commencer, davantage de participants étaient arrivés et ils ont commencé un sit-in de protestation. La police a continué à recourir à une force excessive, arrêtant 47 personnes, dont un enfant, pendant près de 10 heures.

Selon l’Human Rights Foundation of Turkey, 12 participants ont été blessés au cours de leur arrestation. Le gouvernorat d’Istanbul a rejeté les plaintes ultérieures des participants concernant l’usage excessif de la force par la police, pourtant mis en évidence par des rapports médicaux. Le procureur général d’Istanbul a rejeté les plaintes pénales pour « conduite fautive » portées contre le gouverneur d’Istanbul et le gouverneur du district de Beyoğlu, ainsi que la demande d’annulation de l’interdiction de manifester sur la place Galatasaray déposée auprès du tribunal administratif n° 6 d’Istanbul. La cour d’appel administrative régionale d’Istanbul a également rejeté l’appel interjeté en octobre 2020. Cette décision a fait l’objet d’un nouveau recours devant le Conseil d’État le 27 janvier 2021.

Le 18 novembre 2020, le tribunal pénal de première instance d’Istanbul a accepté l’acte d’accusation contre 46 personnes, parmi lesquelles des proches de victimes de disparitions forcées, des défenseur-ses des droits humains, des militants politiques, des journalistes et d’autres. La première audience de leur procès aura lieu à Istanbul le 25 mars 2021.

Les organisations soussignées sont alarmées par les commentaires publics du Président3 et du ministre de l’Intérieur4 qualifiant les Saturday Mothers/People de « terroristes »', et craignant que le procès contre les 46 personnes soit motivé par le désir de faire taire les membres de Saturday Mothers/People et ceux qui veulent les soutenir dans leur quête de justice.

Contexte

Saturday Mothers/People est un groupe de proches d’individus victimes de disparitions forcées dans les années 80 et 90 en Turquie et de défenseur-ses des droits humains. Les personnes disparues ont été kidnappées, détenues ou placées en garde à vue non officielle et non enregistrée par des personnes présumées être des agents de l’État. S’inspirant de la Plaza del Mayo, les familles ont commencé à organiser un sit-in sur la place Galatasaray à Beyoğlu, un quartier touristique et commerçant populaire d’Istanbul, pour faire entendre leur voix et sensibiliser au problème alors endémique des disparitions forcées en Turquie. La première veillée a eu lieu le 27 mai 1995, juste après la découverte du corps torturé d’Hasan Ocak dans une tombe anonyme.

Le groupe s’est réuni pacifiquement lors d’une veillée silencieuse sur la place Galatasaray tous les samedis à midi jusqu’en 1999. Au cours de chaque réunion, l’histoire d’une personne disparue était racontée et les autorités de l’État étaient invitées à rendre publique la vérité sur le sort de leurs proches disparus et à traduire les auteurs en justice.

Bien que le groupe ait été occasionnellement confronté à des violences policières ou à des arrestations, l’intervention violente de la police s’est intensifiée en 1998, parallèlement à des campagnes de dénigrement contre les familles qui affirmaient que les personnes disparues avaient en fait rejoint des organisations terroristes. En sept mois, 1093 personnes ont été arrêtées avant même d’atteindre la place Galatasaray ; elles ont été traînées au sol, battues et harcelées.

Le 13 mars 1999, à l’occasion de la 200e semaine de leur rassemblement, les familles des disparus ont annoncé qu’elles suspendraient leur action en raison des attaques et de la répression auxquelles les forces de police les soumettaient.

Le 31 janvier 2009, Saturday Mothers/People a repris les rassemblements au même endroit.

Le 5 février 2011, après avoir gagné de la visibilité et le soutien du public et dans un contexte d’un climat politique changeant, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a tenu une réunion avec des représentants du groupe au cours de laquelle ils ont présenté une série de revendications. Leurs demandes comprenaient la création d’une commission d’enquête indépendante sur les cas de disparitions forcées et la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Saturday Mothers/People a poursuivi les rassemblements pacifiques jusqu’à la 700e semaine, le 25 août 2018, sans interruption majeure de la police. 5 Le 500e rassemblement du 25 octobre 20146 et le 600e rassemblement le 25 septembre 20167 ont réuni des milliers de partisans, dont des défenseur-ses des droits humains, et se sont déroulés sans intervention ni perturbation de la police.

Suite à l’interdiction du 25 août 2018, leurs veillées pacifiques hebdomadaires se sont poursuivies dans une rue étroite de Taksim, devant les bureaux de l’Association des droits de l’Homme et avec une forte présence policière. Au moins deux fois, la police est intervenue avec des gaz lacrymogènes pour disperser les participants, uniquement sur la base du contenu d’une déclaration lue par un représentant du groupe. Depuis l’épidémie de COVID-19, les veillées ont lieu en ligne chaque semaine.

L’importance de la place Galatasaray pour les Saturday Mothers/People

Les veillées des Saturday Mothers/People est le plus ancien rassemblement pacifique de Turquie. Pendant plus de 800 semaines, le groupe n’a pas changé la forme de ses veillées. Il rassemble des personnes d’horizons différents qui font entendre leur voix pour toute allégation de disparition présentée par leurs familles sans discrimination. Au cours de leurs 25 années de lutte, les revendications n’ont pas changé et le groupe n’a jamais abandonné.

La place Galatasaray est devenue un lieu de mémoire important dans la lutte pour les droits humains en Turquie et est devenue synonyme des Saturday Mothers/People. Le groupe considère l’attaque contre la veillée de la 700e semaine et ce qui semble être une interdiction permanente comme une tentative visant à effacer la mémoire des personnes disparues de force. Cette conviction est étayée par le fait qu’aucun effort n’est fait pour traduire les coupables en justice ou pour découvrir où se trouvent de nombreuses victimes de disparition forcée.

Amnesty International
Front Line Defenders
Human Rights Watch

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1 Déclaration d'Amnesty International, 29 août 2018. Turkey: Authorities must ensure relatives of people forcibly disappeared can continue with their peaceful weekly vigil https://www.amnesty.org/en/documents/eur44/9009/2018/en/

Déclaration de Front Line Defenders, 31 aout 2018, Turkey: Saturday Mothers’ weekly vigils must be allowed and their right to peaceful assembly guaranteed, https://www.frontlinedefenders.org/en/statement-report/turkey-saturday-m...

2 Les veillées ont été interrompues pendant dix ans entre 1999 et 2009. Elles ont repris et se sont poursuivies sans interruption depuis lors. À partir de septembre 2018, elles ont eu lieu devant les bureaux de la section d'Istanbul de l'Human Rights Association à Taksim. Depuis le début de la pandémie de COVID-19, elles se déroulent en ligne.

3 Un discours du président Erdogan sous-entend que Saturday Mothers (et les ouvriers de la construction de l'aéroport) sont des "terroristes" https://www.evrensel.net/haber/363013/erdogan-cumartesi-anneleri-ve-hava...

4 https://www.hurriyetdailynews.com/terror-groups-exploit-saturday-mothers...

5 https://www.cumhuriyet.com.tr/haber/arrest-at-the-saturday-mothers-657162

6 https://www.hurriyetdailynews.com/mothers-of-the-disappeared-in-turkey-g...

7 https://www.dw.com/en/turkeys-saturday-mothers-meet-for-600th-time-deman...