Lettre conjointe concernant les décisions de plusieurs gouvernements européens de suspendre ou de revoir leur financement des organisations de la société civile palestinienne et israélienne
Dans une lettre ouverte, Front Line Defenders et 99 autres organisations de la société civile expriment leur profonde inquiétude face à la décision de l’UE et de plusieurs États européens de suspendre ou de revoir leur financement des organisations de la société civile palestinienne et israélienne.
Nous, les organisations soussignées, vous écrivons pour vous faire part de notre inquiétude concernant la décision de plusieurs gouvernements européens de suspendre ou de revoir leur financement de plusieurs organisations de la société civile palestinienne et israélienne. Nous sommes profondément préoccupées par ces développements et nous demandons à votre gouvernement de revenir sur toute décision visant à mettre un terme à ce financement crucial. Une réduction des fonds alloués à ces groupes et organisations porte atteinte à la protection des droits humains en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (TPO) et remet en question votre capacité à promouvoir et à protéger de manière crédible les valeurs universelles des droits humains dans l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MOAN).
Plusieurs États européens, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Suède et la Suisse, ainsi que la Commission européenne ont pris des mesures pour suspendre ou réexaminer leur financement versé aux organisations de la société civile palestinienne et israélienne en raison d’allégations infondées de détournement de fonds vers des organisations terroristes. Ces mesures se sont intensifiées à la suite des attaques menées par le Hamas et d’autres groupes armés le 7 octobre 2023, au cours desquelles des membres du Hamas et d’autres groupes armés ont perpétré des exécutions sommaires, des prises d’otages de civils et des tirs de roquettes aveugles sur Israël.
Si nous sommes tout à fait d’accord pour dire que la responsabilité et la transparence doivent être au cœur de l’aide internationale au développement et que les donateurs ont la responsabilité de revoir régulièrement leur financement, nous sommes préoccupés par le calendrier, la raison d’être et l’impact des révisions annoncées récemment. À notre connaissance, les raisons de l’arrêt ou de la révision des financements comprennent des préoccupations non fondées selon lesquelles les fonds pourraient être indirectement détournés vers des groupes armés tels que le Hamas, et des affirmations non fondées selon lesquelles le travail légitime des organisations de la société civile qui documentent et dénoncent les violations des droits humains par le gouvernement israélien équivaut à de l’antisémitisme et/ou incite à la violence à l’encontre de l’État d’Israël.
Il n’existe à ce jour aucune preuve crédible que des fonds de l’UE ou d’État européen aient été acheminés vers des groupes armés palestiniens. Depuis des années, les organisations de la société civile palestinienne sont accusées d’être liées au terrorisme dans le but de saper leur travail et leur légitimité. Elles font l’objet d’examens minutieux de la part des donateurs internationaux et l’aide fournie est rigoureusement passée en revue par les donateurs à intervalles réguliers. Les annonces récentes de plusieurs donateurs européens et de l’UE elle-même approuvent implicitement les allégations infondées d’Israël selon lesquelles les ONG palestiniennes ont des liens avec le terrorisme, et qu’elles fonctionnent grâce à des années d’abus et de détournement des réglementations antiterroristes mondiales, y compris la recommandation n° 8 du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI).
Nous sommes profondément préoccupées par le fait que ces décisions constituent une ingérence indue dans le travail des organisations de la société civile qui promeuvent et protègent les droits humains pour tous en Israël et dans les TPO. Le fait d’exiger que les organisations adhèrent à certaines lignes politiques représentant les positions politiques des États donateurs porte atteinte à leur liberté d’expression et la limite. En suspendant tout financement du développement en faveur de la Palestine dans l’attente d’un réexamen, la Suède a également souligné qu’elle n’accorderait plus de financement du développement à des acteurs qui ne condamnent pas le Hamas. Le fait de ne pas condamner les actes criminels commis par le Hamas et les groupes armés palestiniens contre les civils israéliens n’équivaut cependant pas à une incitation à la violence ou à une complicité de violence. Pénaliser le silence d’un individu ou d’un groupe sur une question va directement à l’encontre de leur droit à la liberté d’expression et à la liberté de conscience et de croyance. Seuls les discours qui portent atteinte aux droits d’autrui ou qui prônent la haine et incitent à la discrimination ou à la violence devraient être interdits.
Ces décisions violent également les engagements pris par les États à l’égard des défenseur⸱ses des droits humains en vertu des Orientations de l’Union européenne concernant les Défenseurs des Droits de l’Homme, des Lignes directrices de la Suisse sur les défenseuses et défenseurs des droits de l’Homme et de l’engagement général en faveur des droits humains et de la liberté d’association. La liberté d’association garantit que toute personne peut s’organiser, former des groupes et y participer, de manière formelle ou informelle. Elle englobe le droit d’un groupe de prendre des mesures collectives pour défendre les intérêts de ses membres. La possibilité de rechercher, de recevoir et d’utiliser des fonds, y compris des fonds externes, est un élément fondamental du droit à la liberté d’association. L’exercice du droit à la liberté d’association ne doit faire l’objet d’aucune restriction qui ne soit prévue par la loi et qui ne soit nécessaire dans une société démocratique à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à l’ordre public, à la protection de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Les accusations non fondées et discriminatoires associant les organisations de la société civile opérant dans les TPO à des groupes armés ou à des activités criminelles ne répondent pas au critère de limitation légitime de la liberté d’association. L’utilisation de mesures antiterroristes ou « anti-extrémisme » comme prétexte pour entraver le travail de la société civile indépendante constitue une violation du droit international.
La décision de suspendre et de réexaminer le financement, en particulier en ce moment, ne fera qu’aggraver une situation des droits humains déjà désastreuse en Israël et dans les TPO. Les défenseur⸱ses des droits humains et les organisations en Israël et dans les TPO sont des acteurs clés pour documenter les violations des droits humains dans la région, plaider pour que les responsables de ces violations rendent des comptes et chercher des solutions efficaces pour les victimes et les survivants. Ces organisations apportent une contribution inestimable au travail des organisations internationales de défense des droits humains, des organisations internationales et des gouvernements d’autres régions ayant une influence sur la situation des droits humains en Israël et dans les TPO. Pour ces raisons, les autorités israéliennes restreignent leur capacité à recevoir des financements, les rendant ainsi dépendantes des financements extérieurs.
Enfin, la crédibilité des approches des gouvernements européens face à la crise actuelle à Gaza, en Cisjordanie et en Israël a déjà été mise à mal par les restrictions qu’ils ont imposées aux droits à la liberté d’expression et de réunion des personnes et des groupes qui manifestent contre les violations du droit humanitaire international et les crimes de guerre potentiels commis par les autorités israéliennes à l’encontre des Palestiniens de Gaza. Non seulement de nombreux États européens ne dénoncent pas les graves violations du droit humanitaire international commises par Israël ou ne demandent pas à toutes les parties concernées de rendre des comptes, mais ils prennent également des mesures qui ont pour effet de restreindre la liberté d’expression et de réunion en Europe et de compromettre l’espace civique et la protection des droits humains en Israël et dans les territoires palestiniens occupés en suspendant leur soutien aux acteurs locaux qui défendent les droits humains.
Les menaces de couper les financements ou l’arrêt effectif de ces derniers destinés aux groupes et aux organisations qui défendent les droits humains en Israël et dans les TPO aligneraient les États européens sur les gouvernements répressifs de la région MOAN qui emploient des tactiques similaires pour fermer l’espace civique et faire taire les voix vitales qui accomplissent un travail essentiel. Nous savons que l’on ne pourra parvenir aux droits humains pour tous qu’avec la participation significative de la société civile, sur la base des principes d’égalité, de sécurité, de justice et de dignité humaine. Les empêcher de poursuivre leur travail ne ferait que saper les espoirs d’un avenir où chacun en Israël et dans les TPO pourra jouir de droits égaux.
Sincères salutations,
- ActionAid International
- Alianza por la Solidaridad – ActionAid Spain
- Amnesty International
- Annulliamo La Distanza
- Asociación Española de Investigación para la Paz (AIPAZ)
- Association for Progressive Communications – APC
- Associazione delle Organizzazioni Italiane di Cooperazione e Solidarietà Internazionale (AOI)
- Associazione di Cooperazione e Solidarietà (ACS)
- Armadilla Scs
- Asamblea de Cooperación por la Paz
- Bloody Sunday Trust
- Broederlijk Delen
- Central Union for Child Welfare (Lastensuojelun Keskusliitto)
- Centre Delàs d’Estudis per la Pau
- Centre for Global Education
- Christian Aid Ireland
- CIDSE
- CISS
- CIVICUS
- CNCD-11.11.11
- Comhlámh Justice for Palestine
- Comité catholique contre la faim et pour le développement
- Coopération Nord-Sud
- COSPE
- Derechos Digitales · América Latina
- Diakonia Sweden
- Digital Action
- Een Andere Joodse Stem / Another Jewish Voice (Belgium)
- EuroMed Rights
- European Jews for a Just Peace
- FIAN International
- Finnish Refugee Advice Centre
- Fondazione La Locomotiva
- Forum for Development and the Environment
- Forum Ziviler Friedensdienst (forumZFD)
- Free Press Unlimited
- Frieda – the Feminist Peace Organisation
- Front Line Defenders
- Gerechtigkeit und Frieden in Palästina (GFP)
- Glas ljudstva (Voice of the people)
- Global Justice Center
- Het Actiefonds
- Hivos
- Housing and Land Rights Network – Habitat International Coalition
- Human Rights House Foundation
- Humanitas – Centre for Global Learning and Cooperation
- humanrights.ch
- IM Swedish Development Partner
- Ina autra senda – Swiss Friends of Combatants for Peace
- Institut PROJA
- International Media Support
- International Partnership for Human Rights (IPHR)
- International Service for Human Rights (ISHR)
- Ireland-Palestine Solidarity Campaign
- Irish Anti-Apartheid Campaign for Palestine (IAACP)
- Irish Council for Civil Liberties
- Jewish Voice for Democracy and Justice in Israel/Palestine (Switzerland)
- Jews for Justice for Palestinians
- KFUK-KFUM Global
- La Coordinadora de Organizaciones para el Desarrollo (Spain)
- Lebanese Center for Human Rights
- MADRE
- Majal.org
- Médecins du Monde Suisse
- Medico International
- Medico International Schweiz
- Movement for Peace (MPDL)
- Mundubat Foundation
- Nobel Women’s Initiative
- Norwegian Helsinki Committee
- Norwegian Human Rights Fund
- Norwegian Peoples Aid
- Norwegian Students’ and Academics’ International Assistence Fund (SAIH)
- Novact
- ONG Rescate Internacional
- Open Briefing
- Outright International
- Oxfam International
- Palästina-Solidarität Region Basel
- Pax Christi – Deutsche Sektion
- Piattaforma delle OSC Italiane in Medio Oriente e Mediterraneo
- PIC – Legal Center for the Protection of Human Rights and the Environment
- Platform of French NGOs for Palestine
- Première Urgence Internationale
- Rafto Foundation
- Sadaka – The Ireland Palestine Alliance
- Saferworld
- Slovene Philanthropy
- SOLIDAR
- Suomen Setlementtiliitto
- Terre des Hommes International Federation
- The Fund for Global Human Rights
- The Kvinna till Kvinna Foundation
- Trans ry
- Trasek ry
- Trócaire
- Un Ponte Per
- War Child UK
- Weltfriedensdienst e.V.
- zusa – art of collaboration